Au cours de sa vie, depuis son berceau jusqu’à son cercueil, un consommateur aura possédé plusieurs milliers d’objets, adhéré à de multiples croyances et idéologies. Il n’est donc peu que de dire que l’existence du consommateur est placée sous le signe du renouvellement. La plupart de ces objets, croyances, idéologies ainsi que les émotions et les activités qu’elles suscitent auront eu pour source des Marques.
Dans bon nombre d’études économiques on suppose le comportement du consommateur comme rationnel alors que sa rationalité demeure limitée. Nourri d’habitudes le consommateur tend à persévérer dans son être et dans ses croyances qui organisent son existence.
Caractéristiques des consommateurs
- Le consommateur consomme c’est l’une de ses relations au monde
- Le consommateur regarde le monde comme un univers calculable
- Le consommateur est un chasseur-cueilleur muni d’un caddie dont le terrain de chasse s’est déplacé vers le supermarché (physique ou virtuel) dans lequel il ne cueille plus mais collecte des produits
- Le consommateur a pour finalité première de se conserver et de se reproduire
- Le consommateur ne peut rester seul avec lui-même, il a besoin d’intermédiation
- Le consommateur aménage son quotidien, se construit sa zone de confort qu’il remplit avant de s’y enfermé. Difficile d’y renoncer pour changer de paradigme
- Le consommateur oscille entre l’Être et l’Avoir ou pour le dire différemment « il délibère sur les intérêts ou sur les valeurs »
- Le consommateur oscille entre la crédulité, la suspicion et l’opportunisme
- L’autosuggestion favorise l’enthousiasme du consommateur
- Le consommateur est toujours pris dans l’agir
- Créature casanière, éloigné de son territoire, le consommateur fait en sorte de le rejoindre
- Le consommateur poursuit des actes qui ont été initiés par d’autres
- Le consommateur est un animal culturel
- Le consommateur est un être qui vit dans l’attente que ce soit d’un produit, d’une personne…
- Le consommateur entretient davantage de relations avec la société qu’avec la nature
- Le consommateur recherche à la fois l’intensité mais aussi la plénitude
- Le consommateur est un être qui recherche le plaisir (hédonisme) et le bonheur (eudémonisme)
- Le consommateur réfléchit avec un corps, de la subjectivité et du pathos
- Le consommateur pense en termes d’histoires et de récits ce qui le rend manipulable
- Le consommateur enrichit le réel de valeurs
- Le consommateur est un être doué d’intentions qui se projette indéfiniment en avant de lui-même
- Le consommateur est le produit d’une domestication
- Le consommateur procède par comparaison et imitation de son entourage
- Le consommateur motive ses propres jugements à partir des réflexions et des actions d’autres consommateurs (intersubjectivité)
- Chaque consommateur renvoie (reflète, réfléchie) aux autres un monde singulier et différent
- Le consommateur vit pour une part le monde sur le mode de la fusion et de l’autre se le représente par des idées
- Le consommateur se défini par des élans, des appréciations, des degrés d’adhérences aux Marques
- Les consommateurs sont dans l’attente d’une Marque qui lui veuille du bien et par voie de conséquence qui lui fasse du bien
- Le consommateur est poreux, perméable et malléable. Son désir est insatiable, influencé par les circonstances dans lesquelles il se déploie
- Les consommateurs sont vulnérables à tous les âges mais pour des raisons différentes
- Le consommateur est sensible aux protocoles sociaux (classes sociales, reconnaissances, distinctions, etc.)
- Le consommateur et les Marques se construisent en miroir
De l’antiquité à nos jours(3)
De nos jours, la globalisation et l’activité économique aidant, l’individu s’est transformé en consommateur dont la préoccupation s’est déplacée vers le Moi avec pour miroir les Marques.
Dans l’Antiquité, l’homme se savait ordonné à un kosmos. Il était le produit de la nature où régnait une multitude de dieux. Quand le modèle biblique s’est imposé l’homme fut créé à l’image de Dieu. Avec l’époque moderne, le consommateur s’est émancipé des modèles antiques et bibliques en s’adossant à la science et aux technologies. Il est devenu la mesure de toutes choses, le centre, celui qui possède les droits et qui donne le sens à ce qui l’entoure. Sa légitimité il la tient de lui-même.
L’économie comportementale(1)
Les états intentionnels et émotionnels comme la peur, la tristesse, la joie, le dégoût, la colère, la compassion, voire les passions nous informent sur ce qui se passe en nous et nous renseignent sur les autres. Ils façonnent notre choix de consommateur. Tout ce qui nous perturbe, qu’il provienne d’une faiblesse informationnelle ou psychologique peut-être susceptible d’être exploité. Certes, les biais psychologiques ou motivations dysfonctionnelles influent sur notre comportement, mais un état physiologique comme la fatigue peut lui aussi faciliter les erreurs.
Si, dès lors, nos décisions dépendent davantage de l’inconscient que de la conscience, pourquoi ne pas se méfier en premier lieu de nous-mêmes, puis interroger les critères qui déterminent nos choix et qui pourraient nous induire en erreur. Pourtant, nous continuons à accueillir avec bienveillance ce qu’on nous présente comme étant dans notre intérêt et ne pas voir ce qui s’y oppose.
« Notre cerveau aime ce qui est brillant, sonore, nouveau, ce qui nous émeut, nous obsède, ou bien ce que nous avons l’habitude de faire. »
J-P Lachaux – Sciences et avenir, n°896 p34
Le comportement du consommateur est le fruit de son identité auquel se mêle les normes imposées et implicites. Il s’impose des règles comportementales qui répondent à des logiques d’engagement moral, d’attente de réciprocité, de devoir de cohérence envers ses jugements, ses décisions et ses actes. Ce code de conduite sociétal s’insère dans des scénarios que nous élaborons sans discontinuer et dans lesquels s’invitent les Marques.
À ces caractéristiques comportementales s’ajoutent le respect de l’autorité, l’amour-propre, l’estime de soi, l’avidité, l’ambition, le désir de gloire, de puissance, d’être aimé, apprécié, respecté, mais aussi notre tempérament « moutonnier ». Autant de portes d’entrée que les Marques sauront ouvrir en instaurant des classements et des honneurs de toute nature.
Le consommateur est soumis à des addictions, source de plaisir et de douleur que les Marques entretiennent comme le tabac et les jeux. Bien que cela soit au détriment de ses concitoyens l’État continu d’y percevoir un intérêt, à savoir une source de revenus.
Le consommateur et son milieu
Le consommateur est un sujet en relation, immergé dans son environnement, il se projette dans ce qui préexiste et s’insère dans un monde déjà interprété par les Marques. Il habite le monde dans un contexte historique, économique et technologique. Il saisit les opportunités que lui offrent les Marques à partir de son intérêt pratique. Sa capacité d’adaptation commence là où les conditionnements, les habitudes, les savoir-faire, les procédés et les routines ne répondent plus aux exigences du moment et nécessite un nouveau comportement de nouvelles compétences. Agité par ses convictions, fruit de causalités et d’associations il construit ses certitudes à partir de ses habitudes et ses croyances à cela s’ajoute la fiabilité des Marques qui renforce son illusion de contrôle voire son sentiment de toute puissance. Pris dans un flux, sujet d’un faisceau d’impressions le consommateur répond au monde par l’expérience.
Pourtant, ce n’est pas l’expérience qui est première chez le consommateur, mais le milieu, en témoigne l’enfant qui « expérience » les Marques en mode passif, réceptif. Les passions de ses parents, leurs intérêts, leurs désirs, sont les promesses d’un monde qui s’ouvre à lui. A la fin des rituels de son éducation, son environnement aura fait de lui un consommateur à part entière apte à partager des représentations.
Le consommateur n’est donc ni détaché ni extérieur à son milieu ou bien encore supérieur à lui, il est intégré dans un ensemble de relations que les Marques lui permettent de nouer où il y remet en jeu sa personnalité dans un rapport de relations d’appartenance ou non à des groupes.
Le consommateur produit social des Marques
Partager les Marques rend le monde plus familier. Il permet d’occuper sa place socialement dans la communauté. D’ailleurs, plus le groupe est structuré plus le sentiment d’appartenance est fort, il crée un profond sentiment d’identité et de fierté.
Il peut sembler exagéré de rabattre l’identité personnelle du consommateur sur son identité sociale, mais on reconnaîtra aisément que l’identité se construit à partir de l’environnement saisi dans le flux de l’histoire. L’identité sociale quant à elle reflète l’engagement, le partenariat, la passivité et la résistance du consommateur vis-à-vis des Marques nations, religieuses, commerciales, associatives…, qui nous prêtent leurs lunettes pour regarder le monde.
« Une société qui valorise la consommation, présentée comme une condition du bonheur et d’accomplissement de soi suscite de fortes frustrations dans la mesure où tous n’y ont pas accès.«
« La fabrique de l’addiction aux jeux d’argent »
Thomas Amadieu
Le consommateur vit en osmose avec les Marques de toute nature auxquelles il s’associe ou auxquelles on l’associe. Il s’enrichit de leurs qualités pour construire sa personnalité et se projeter dans le devenir jusqu’à ce qu’il se réalise selon des modèles. Il se pense à l’origine de ses actions alors qu’il est la médiation à travers laquelle les Marques s’accomplissent.
L’aptitude du consommateur à vivre dans un monde de représentations, offre aux Marques la possibilité de lui suggérer une multitude de scénarios dans lesquels il pourra définir son propre rôle. En cela les récits conditionnent les motivations. Certes, créatifs pour certains d’entre eux ils peuvent aussi s’avérer dangereux pour d’autres au contact de cultures différentes de la nôtre. Heureusement, dans nos démocraties laïques, il existe des formes non violentes qui permettent la confrontation comme le débat. Son inconvénient c’est de distiller de l’incertitude là où la vérité unique tranquillise, mais c’est le prix à payer pour la liberté.
L’intentionnalité : le point d’ancrage des Marques
Le moi du consommateur est introuvable, c’est une fiction ballotée dans des récits idéalisés par les Marques commerciales, politiques, religieuses, associatives qui lui offrent des possibilités d’accompagner ses moi virtuels. Ou pour le dire autrement il y a chez le consommateur des ébauches de potentialités que les Marques peuvent réactiver pour lui permettent de reprendre l’exploration de son identité et pourquoi pas de l’étendre. Pour ce faire, les Marques ont besoin d’un point d’ancrage qu’elles trouvent chez le consommateur dans ses intentions, fruits de ses motivations réfléchies ou instinctives.
Consommateur, un processus en cours.
L’intentionnalité dépend pêle-mêle et d’une manière non exhaustive de ses passions (exemples : pratiques culturelles, sportives…), ses manques, ses frustrations, ses désirs ; conséquemment de : sa profession, ses moyens financiers, son statut social, sa situation géographique, son sexe, son âge, sa situation familiale, sa santé, sa fonction sociale (exemple : adhérent à une association)… son degré de responsabilité (en charge d’enfant ou de communauté)… À la catégorie de la population autonome s’ajoute celle qui est dépendante : les enfants, les invalides, les personnes âgées, les malades mentaux, les incarcérés. Pour ceux-là, un tiers décide pour eux selon des critères tels que la nécessité, le coût…
A ses intentions se mêlent ses attentes, bien que mal définies, elles déterminent largement sa satisfaction. Le consommateur doit pouvoir trouver dans la Marque ce qui répond à ses projections s’il ne veut pas se sentir frustré et par voie de conséquence s’en détourner.
Choisir c’est renoncer(2)
Aucun consommateur ne peut embrasser l’ensemble des possibles que lui offrent les Marques dans leur étendue et leur succession. La condition du consommateur le condamne à n’embrasser que du partiel, son aventure est limitée. En tant que telle, elle exclue tout le reste, choisir c’est renoncer et ainsi se limiter. Cette expérience est donc pauvre des possibles qu’elle délaisse. On aura beau vouloir l’accumuler dans l’espoir de la totaliser la tentative reste vaine car les Marques dans leurs ressources sont inépuisables.
Quoique le consommateur fasse ou non, un parcours particulier prend forme, piégé dans son propre scénario, pris dans son cheminement particulier né du psychisme et des circonstances, il s’incarne toujours dans un milieu, satisfait dans le meilleur des cas d’être quelqu’un quelque part, en un point des possibles, il n’aura été que presque rien et n’aura presque rien connu, en quelque sorte une vie passagère et partielle, vite engloutie et remplacée par d’autres.
Les Marques comme monde à partager
Si nous ne sommes jamais autant humains que lorsque nous sommes en relation il se pourrait bien que nous ne soyons jamais autant consommateur que lorsque nous partageons des Marques. Ainsi chemin faisant, en deux siècles d’artifices, le consommateur aura fabriqué le milieu qui le façonne. Indépendamment, on pourra remarquer qu’avec le développement du consumérisme le consommateur aura pris l’ascendant sur le citoyen.
S’il est juste de dire que nos actes s’intègrent parmi des séries d’actes, on peut s’interroger sur notre participation dans ces séries car ce qui nous appartient c’est notre manière d’agir et par voie de conséquence notre part de responsabilité.
(1) On pourra lire à ce sujet le livre de George Akerlof et Robert Shiller, « Marchés de dupes » paru chez Odile Jacob.
(2) Je me suis inspiré pour écrire ce paragraphe du livre de Judith Schlanger, « Fragment épique » aux éditions Belin, à la réserve près qu’il n’est pas question de consommateur chez Judith Schlanger.
(3) Paragraphe inspiré par la lecture de « Modérément moderne », un ouvrage de Rémi Brague paru aux éditions Flammarion.
Pour compléter le portrait du consommateur on pourra lire « L’effacement des peuples au profit des consommateurs »
Date de mise à jour : 26 septembre 2024
Date de publication initiale : novembre 2013