Au fur et à mesure que la globalisation se généralise, la figure du peuple s’estompe au profit de celle du consommateur. Si ces deux termes concernent le social ils relèvent de deux catégories distinctes, à savoir, le politique pour le premier et l’économique pour le second.
Le peuple
L’unité autour de mœurs, de traditions, d’une langue, d’une religion, mais aussi des sentiments et de l’imagination soumis au même processus de développement socio-culturel a pour conséquence de donner une unité à la fois naturelle et historique quasi organique à un peuple. En partageant un sens commun identique le peuple organise sa vie en société. Il s’ensuit une volonté collective qui conduit vers un destin commun avec la conséquence pour le peuple de s’attribuer un nom qui est le fruit de son histoire.
Les peuples sont ainsi la conséquence de regroupements locaux qui évoluent vers une organisation étatique symbole de stabilité dont les territoires se matérialisent par des frontières. La communauté devient alors citoyenne d’un État. En France avant de devenir citoyen d’une République les individus étaient les sujets d’un roi.
« […] (un) peuple est le rassemblement d’une multitude d’individus qui se sont associés en vertu d’un accord sur le droit et d’une communauté d’intérêts. » (Cicéron – La république, livre 1 – Les belles lettres)
Cicero/Cicéron, De republica
Un peuple délibère, écrit sa propre législation. C’est un corps politique, juridique doté d’un état civil, s’inscrivant dans le droit international celui par exemple qu’ont les peuples à disposer d’eux-mêmes.
Lorsque l’on s’intéresse au mot peuple on croise au fil de ses rencontres nombre de termes dont les significations varient selon les époques, les espaces géographiques et les langues. Ils sont gros de contresens et d’ambiguïté, en voici plusieurs exemples :
Grec : dêmos, genos, ethnos, laos, okhlos, plêthos, hoi polloi
Latin : populus, gens, natio, plebs
Allemand : Volk, Rasse, Nation
Anglais : people, race, nation
Italien : popolo (Gramsci)
En français, le mot « peuple » évoque celui d’une communauté auquel on accole parfois une connotation péjorative.
Les consommateurs
(voir aussi caractéristiques des consommateurs)
« Consommateur » est un terme savant utilisé par les économistes depuis le XVIIIe siècle selon Louis Pinto (« L’invention du consommateur » paru aux puf). Il est le fruit d’un processus qui commença avec la révolution industrielle, prit son essor sous les Trente glorieuses, période pendant laquelle s’achevèrent les transformations économiques et sociales qui nous conduisirent à une société d’abondance et qui firent des citoyens des consommateurs à part entière.
Les consommateurs habitent la sphère du domestique qui se déploie dans un espace économique et social. Leur finalité n’est plus celle de vivre mais celle de bien vivre. Ils diffèrent entre eux par le fait qu’ils soient riches ou pauvre, homme ou femme, jeune ou vieux… cependant ils partagent un principe identique, celui d’être en mesure de consommer, de s’approprier des biens. Pour cela ils choisissent et décident par eux-mêmes.
« La consommation c’est de la liberté exprimée par de la dépense, une réponse à la coercition et la frustration. » C’est aussi le domaine où le citoyen exerce sa souveraineté (pouvoir-puissance).
Si le consommateur est autonome et responsable il est aussi un client à satisfaire, reconnu comme un sujet ayant des droits qui sont protégés juridiquement.
L’existence des consommateurs est soumise à un renouvellement constant de services et de produits. Par voie de conséquence les consommateurs s’inscrivent dans le cycle production – distribution – consommation.
Les Marques en nous apprenant ce que sont les autres consommateurs nous indiquent ce que nous devons devenir. Les Marques soumettent ainsi les consommateurs à un processus d’homogénéisation des peuples en rendant les consommateurs semblables entre eux par mimétisme.
Si le consommateur est devenu si important dans nos sociétés c’est que la consommation est devenue le moteur de l’économie et que consommer est devenue une finalité pour nombre d’entre nous.
Comparaison entre « les consommateurs » et » le peuple » : du semblable au différent, quelles relations entretiennent-ils entre eux ?
Les consommateurs comme le peuple se composent d’êtres vivants capables de se reproduire de façon similaires sans être identiques pour autant. Ils sont capables d’échanger avec leur environnement et de s’adapter à ses contraintes.
L’histoire des peuples et des cultures s’étend sur plusieurs millénaires, celle des consommateurs est plus récente. Face au nous du peuple se dresse avec l’industrialisation, la reproduction et la révolution économique la figure du moi issu de la modernité incarnée par le consommateur.
Le mot « peuple » s’emploie le plus souvent au singulier tandis que le mot « consommateur » s’emploie, lui, généralement au pluriel.
D’un côté nous avons le bien public qui appartient à tous et de l’autre le bien marchand qui est le privilège d’un consommateur qui peut l’acquérir. On glisse ainsi de l’intérêt général avec le peuple vers l’intérêt particulier du consommateur.
Là où règne le national avec le peuple, s’exprime l’international, le global, le planétaire des consommateurs. Ce qui n’empêche pas les consommateurs de faire partie d’un peuple.
Si l’on peut tracer une géographie des peuples avec ses frontières physiques, les frontières entre consommateurs sont de l’ordre du revenu et du pouvoir d’achat. Le peuple lui, tire sa légitimité des institutions tandis que le consommateur tire sa légitimité de sa puissance d’achat et des Marques. Toutes deux sont des pensées de la dépendance.
Là où le peuple habite une (sa) nation les consommateurs habitent une société de consommation. Ainsi le mot consommateurs fait-il référence à l’économie tandis que le mot peuple renvoie au politique, à l’ethnique, l’idéologique, le religieux.
Les exclus parmi le peuple sont ceux qui sont privés des droits civiques, chez les consommateurs ce sont ceux sans moyens financiers.
Le peuple a-t-il les mêmes vices et les mêmes vertus que les consommateurs? Ou pour le dire autrement, l’intérêt général et l’intérêt particulier partagent-t-ils des vices et des vertus identiques ?
Les peuples comme les consommateurs en agissant sur la réalité contribuent à faire advenir l’histoire. Cependant, si les consommateurs en arrivent à effacer les peuples cela voudra dire que l’économie aura pris le pas sur le politique, qu’elle aura transformé l’origine historique en un devenir commercial au point que les consommateurs soient devenus les agents moteurs qui façonneront notre civilisation.
Date de publication : 28 juillet 2021