Les Marques et les consommateurs naissent dans un monde où une vision morale existe déjà. Les questions que les Marques soulèvent se posent dans les mœurs mais se formulent à la première personne par un sujet. Si l’on postule que les Marques sont des sujets institués par les hommes ou par Dieu, existe-t-il un instinct moral chez les Marques nation (guerres, colonialisme…), religieuses (guerres de religion, terrorisme…), commerciales (esclavagisme, globalisation, écologie…), politique (national-socialisme [Hitler 1889-1945 Allemagne], stalinisme [Staline 1879-1953 URSS], Kmers rouges [Pol Pot 1928-1998 Cambodge]…) ? Éprouvent-elles du remord, de la mauvaise conscience, s’interrogent-elles sur leurs actes ? Leurs sentiments moraux, si elles en ont, les conduisent-elles de l’égoïsme vers l’altruisme ? Avec elles le « bien » deviendrait-il naturel, éloigneraient-elles les hommes du « mal » ou produisent-elles de la perversion ? En tout état de cause il semble impossible que toutes nos attentes morales envers les Marques ne soient inscrites dans les lois nationales, religieuses, commerciales… mais est-ce une raison pour les laisser se développer selon leurs propres logiques sans leur imposer de contraintes ?
« La civilisation n’est de tout temps pas plus qu’un mince vernis de conventions sur des énergies primitives latentes et toujours prêtes à faire éruption. »
« Réflexes primitifs » Peter Sloterdijk, payot
La morale, pour quoi faire ?
La morale est un frein aux pulsions, elle contraint. Elle permet de dire ce que sont les droits et les devoirs. Les consommateurs en s’y référant dans leurs jugements la diffuse. Elle bannit l’arbitraire individuel au profit d’une instance représentative extérieure. Elle contribue à l’éducation de ses membres par l’intermédiaire des coutumes et des normes de la communauté.
Les actes des Marques quelque peu significatifs ont des effets qui dépassent leurs strictes individualités. Ils révèlent des choix de valeurs et dessinent une image des Marques et des consommateurs. En se choisissant ainsi plutôt qu’autrement les Marques immergent les consommateurs dans des univers qu’elles jugent préférable à d’autres. En affirmant ces valeurs elles engagent l’humanité.
« On règle les vertus morales, les mœurs, par les habitudes et au besoin par des lois pour changer les habitudes. »
Que la morale soit le fruit de la réflexion, des coutumes ou des usages, ses décisions s’inspirent de principes, de normes, de critères, de raisons qui s’appuient sur l’observation de la nature et de ses processus. Elle nous dit quelles sont les valeurs, leurs natures (intellectuelles, affectives, spirituelles ou matérielles) et leurs places dans la hiérarchie. Cette fonction utilitaire de la morale sert de préalable à tous projets. La morale est donc une question pratique qui repose aujourd’hui sur nos utilités, nos émotions et notre subjectivité. Elle engage notre responsabilité qui se fait modeste et pragmatique lors des décisions, car, il faut bien en convenir, les intérêts et les codes de conduite des Marques nation, religieuses, politiques et commerciales sont parfois contradictoires avec ceux des citoyens. Chez le consommateur cela se traduit par des comportements ambivalents, voire violents, tandis qu’à l’échelle des Marques nation cela fait peser des menaces sur la paix et la démocratie.
Morale et Marques religieuses
La Loi, les lois et les mœurs d’une communauté coïncident plus ou moins. Dans le cas d’une théocratie où la loi est elle-même une loi religieuse les différences sont minimes. Les délits y sont identifiés à des pêchés et les pêchés sont traités comme des délits. Les Marques nation laïques, distinguent les délits des pêchés pour préserver l’autodétermination, principe de « liberté » que les Marques nation, commerciales, politiques ou religieuses appellent parfois « individualité ».
Les vertus théologales : foi, espérance, charité (la charité tend au XXIe siècle à être remplacée par la solidarité)
Selon Martin E. Marty(4), … »les américains transfèrent une part de leur fidélité religieuse sur un comportement spirituel lié à la nation elle-même. Cette « religion » prend parfois la forme d’un nationalisme quasi idolâtre. (…) Elle est souvent considérée comme une base commune pour un discours moral, comme un instrument pour le développement des vertus civiques et comme un facteur de consensus qui rend possible à un peuple religieusement divisé de s’unir en tant que nation. »
En période de prospérité l’intérêt des consommateurs pour la loi morale se relâche, ils en ressentent moins la nécessité. La prospérité profite aux Marques commerciales mais fragilise les Marques religieuses.
Morale et Marques nations
La morale d’une nation s’établit sur ses valeurs. Pour que le sentiment national ne se sépare pas du sentiment humaniste les nations se devraient de rejeter toute politique de conquête et d’agression, ne pas pratiquer une politique de force, se résoudre à toujours subordonner leurs actions aux règles du droit des peuples, et ne pas traiter hypocritement le droit comme une arme de plus dans leurs arsenaux de conquête. La guerre est une barbarie doublée d’une imposture quand elle est la force brutale camouflée sous les apparences du droit prostituées aux intérêts(1).
Est-ce à l’État de nous dire ce que sont nos valeurs ?
A la morale individualiste basée sur la liberté et l’autodétermination s’oppose la morale collectiviste définie par l’égalité et la solidarité, entre autres. Pour les premiers (selon la classification de Michael Oakeshott[2]) les biens sont dits « communs » quand ils procèdent d’arrangements communs entre individus tandis que pour les second on les appelle biens « publics » car ils relèvent d’une morale collectiviste. D’une morale de « l’amour de soi comme l’un des ressorts légitimes de l’activité humaine » les nations s’engagent dans un amour de la collectivité. Pour appliquer cet engagement les Marques nation conçoivent une Constitution qui définit les droits et les devoirs de leurs citoyens. Les tâches des Gouvernements se comprennent alors à partir de la morale choisie, ou de l’interaction de plusieurs principes qu’ils soient individualistes, communautaires, religieux ou autres.
Morale et Marques politiques
Les principes d’une action politique raisonnable se construisent à partir de critères choisis pour leurs valeurs. Ces principes sont portés par des convictions et des institutions (patrie, démocratie, famille, république…). Chacune des formes que prennent ces principes, on pourra le déplorer ou s’en féliciter s’accompagne d’engagements ainsi n’existe-t-il pas de patrie sans patriotisme et patriotes; de nation sans nationalisme et nationalistes… qui délimitent les contours de la forme. Ces formes portent en elles des vertus, comme la vertu civique pour la démocratie.
Morale et Marques commerciales
Les Marques commerciales répondent à des stimuli multiples, parmi ceux-ci le marché et l’opinion.
Quand les consommateurs et les Marques commerciales s’enrichissent la nécessité s’estompe elle laisse place au bien-être et à l’avidité d’acheter. L’accumulation des biens qui en découle ravive le dégoût chez les esprits spirituels, sa diffusion engendre convoitises, frustrations et ressentiments.
Les Marques se sacrifient rarement pour une cause qu’elles estimeraient plus grande qu’elles-mêmes, excepté pour des raisons économiques. Pour ce faire, elles se regroupent, fusionnent et créent une nouvelle Marque. C’est un meurtre symbolique qui emmène avec lui le destin d’hommes et de femmes.
On peut ainsi se demander à quel moment le souci de la morale importe chez les Marques commerciales dans un espace marchand concurrentiel. Est-il premier ou seulement subséquent à une stratégie commerciale où l’on associe des moyens à une fin.
Morale et vertus
Pour que les consommateurs consentent à la morale et que celle-ci soit légitimée par tous afin de trouver sa puissance d’agir, les consommateurs attendent d’elle qu’elle s’appuie sur des vertus comme la vérité, la justice et la liberté. L’idéal moral abstrait prend alors la forme d’une règle où l’homme ne cherche plus Dieu mais à devenir vertueux avec l’aide de la raison.
Les Marques nations, politiques, religieuses, commerciales ainsi que leurs consommateurs voudraient bien être moral et reconnus comme tel. Malheureusement la réalité ne reflète pas leurs désirs ce qui n’empêche pas les consommateurs et leurs Marques de demander aux autres d’être moral au point de ne pas leur pardonner de ne l’être pas.
A défaut, les Marques cherchent à sauver les apparences mais elles ne peuvent s’affranchir de l’hypocrisie qui recouvre leurs perversions. Soumises aux remarques et aux invectives elles n’admettent que difficilement que leurs comportements puissent être la source de controverses. Il s’ensuit une morale en demi-teinte à demi consciente et à demi suivie où leurs rêves d’idéal ne se reflètent plus que dans la signature de leurs blocs Marques où dans leurs participations à des actions de mécénats.
Ainsi, bon an mal an, tout se dissout dans un consumérisme ambiant, un œcuménisme raisonnable où les consommateurs prennent les symboles et les mythologies pour des vérités.
Quels intérêts motivent les Marques à maintenir les consommateurs dans des processus moralisants ?
Le consentement à la morale raffermit les liens sociétaux, le plaisir de vivre ensemble et par là même conforte les liens entre les sociétés jusqu’à les unir. Elle restaure la dignité et l’image que les consommateurs se construisent d’eux-mêmes.
En les maintenant dans la culpabilité et la crainte, la morale rend les consommateurs plus gouvernable. En respectant la morale ils se soumettent à la justice, s’accommodent de la loi et respectent l’autorité légitime.
Une morale pour nos amis les humains
La science morale regarde les mœurs des hommes dans leurs diversités et leurs singularités au général comme au particulier. Elle partage avec les Marques l’intérêt pour les comportements des consommateurs et leurs préjugés. Elle accompagne l’homme dans ses humeurs, son quotidien, ses habitudes. Elle réagit à toutes les pulsions engendrées par nos sens. Le consommateur y apparaît « plus vif et plus entier », immergé dans la réalité.
Toutes deux, la morale et les Marques sont pragmatiques, plus pratique que dogmatique. Plus proche d’Épicure que de Kant, elles se détournent de la question de l’essence, pour se coltiner aux contingences de l’existence avec ses contradictions et ses ambigüités. Elles se méfient des visions globalisantes et totalisantes. Elles s’ajustent à leurs époques, à leurs conditions d’existence ainsi qu’aux situations particulières. Soupçonneuse, la morale interroge la valeur que s’attribue les consommateurs et leurs Marques dans leurs actions que l’on qualifie d’intéressées ou de désintéressées.
Ainsi, au fil du développement du consumérisme nous abandonnons le principe hypocrite de la loi morale qui voulait que chaque homme soit considéré comme une fin en soi et non comme un moyen.
La lucidité comme principe de réalité
La morale consumériste hérite de son passé et de sa culture (coutumes, théologie, religions…) auxquelles se greffent les astreintes que sont les lois. Elle se fortifie avec l’éducation et les habitudes. Elle participe au théâtre des passions. Elle sait que derrière les apparences du bien se cachent les intérêts et l’amour propre, que les postures peuvent être des impostures.
Elle remet en question la « volonté libre » pour lui préférer la lucidité, attitude clairvoyante qui permet aux consommateurs de penser la vérité chez les Marques qu’elles soient religieuses, politiques, commerciales, ou citoyennes en dehors des attitudes partisanes. Cependant, la lucidité est fragile, relative, circonstancielle, incomplète, elle doit faire face à l’inertie, le préjugé, l’erreur et par-dessus tout au fait que nous ne nous possédons pas rationnellement. La lucidité ne débouche pas forcément sur la sagesse mais rappelle aux consommateurs et aux Marques nation qu’ils ont en charge leurs destins.
Une morale sans moraline
Dans la nature il n’y a ni bien ni mal, excepté chez les humains qui ont institué parmi les règles du jeu, la morale. Ce que la nature ne détermine pas la morale s’y emploie. Elle vient comme conséquence de la compréhension de notre regard que nous portons sur les faits. La morale sera efficiente quand tous la partageront.
La morale sans moraline quant à elle remplace les jugements moraux que sont le bien et le mal par le bon et le mauvais. La morale sans moraline ne demande pas aux consommateurs de devenir des sages en se détachant des passions, elle les encourage à se rapprocher d’eux-mêmes, à s’ajuster à eux-mêmes et à demeurer en eux-mêmes. Un exercice que l’on pourrait présenter comme une « hygiène morale de la pensée » pour lequel la pratique des vertus cardinales(3) est recommandée.
*La morale s’inscrit dans un processus dynamique, ses règles pratiques sont travaillées par l’inquiétude suscitée par les changements dans les mœurs. L’éthique, quant à elle, est la science de cette morale.
1/ Paragraphe composé à partir du livre d’Henri Hude « Ethique et politique »
2/ Michael Oakeshott : « Morale et politique dans l’Europe moderne »
3/ Les quatre vertus cardinales (source Wikipedia) :
La prudence dispose la raison pratique à discerner en toute circonstance le véritable bien et à choisir les justes moyens de l’accomplir ;
La tempérance assure la maîtrise de la volonté sur les instincts et maintient les désirs dans les limites de l’honnêteté, procurant l’équilibre dans l’usage des biens ;
La force, c’est-à-dire le courage, permet dans les difficultés la fermeté et la constance dans la poursuite du bien, affermissant la résolution de résister aux tentations et de surmonter les obstacles dans la vie morale ;
La justice consiste dans la constante et ferme volonté de donner moralement à chacun ce qui lui est universellement dû.
Les vertus sont des attitudes fermes, des dispositions stables, des perfections habituelles de l’intelligence et de la volonté qui règlent les actes, ordonnent les passions et guident la conduite. Elles procurent facilité, maîtrise et joie pour mener une vie moralement bonne. L’homme vertueux, c’est celui qui librement pratique le bien.
– Les vertus maçonniques : tolérance, bienfaisance, solidarité
– Les vertus du scout : franchise, dévouement, pureté
Chez Machiavel, la vertu est liée à l’occasion et plus précisément à l’énergie que l’on est capable de rassembler pour saisir l’occasion. L’homme vertueux pour Machiavel est donc celui qui est capable d’agir au bon moment de la façon la plus efficace en fonction d’un but qu’il s’est fixé (sauver la république dans son cas).
4/ Le grand atlas des religions (Encyclopaedia Universalis-1988)
Quelques moralistes français : Michel de Montaigne (1533-1592), François de La Rochefoucauld (1613-1680), Nicolas de Chamfort (1740-1794).
A noter que l’on retrouvera dans l’œuvre de Sigmund Freud (1856-1939) plusieurs réflexions d’Arthur Schopenhauer (1788-1860), Max Stirner (1806-1856) et Friedrich Nietzsche (1844-1900).
Dernière mise à jour : 19 janvier 2021