L’universalité des âges et des générations de consommateurs parlent le langage des sens bien qu’ils ne parlent pas la même langue.
Les expériences sensorielles réveillent les émotions, elles ravivent les souvenirs. Les impressions qu’elles provoquent, qu’elles soient visuelles, auditives, tactiles, gustatives ou olfactives relèvent-elles de données naturelles ou doivent-elles être considérées comme des réalités modifiées ? La sensibilité humaine est-elle simplement passive et réceptive ou est-elle altérée par notre culture ? Si c’est le cas, ne faudrait-il pas mieux interroger notre compréhension du monde que faire confiance essentiellement à nos organes sensoriels ? En d’autres termes voyons-nous par nous-mêmes ou avec les yeux de la culture ? Cette culture est-elle mise en forme par les Marques ? Les Marques modifient-elles notre expérience humaine et notre expérience du monde ? Leurs donnent-t-elles du sens ?
Le chemin des sens
En créant un champ sensoriel autour du consommateur, les Marques façonnent les comportements des consommateurs. Il aide à décrypter les valeurs de notre société et les courants de consommation qui en découlent. Ce champ sensoriel constitué d’odeurs, de saveurs, de toucher, de stimulations visuelles et sonores donne forme aux échanges. Véritable ontogenèse de l’imprégnation culturelle des Marques cet espace sensoriel permet un échange affectif qui sensibilise à la reconnaissance des signes émis par les Marques.
Toutes ces informations recueillies par nos sens, véritable patchwork impressionniste induisent des pulsions, des affects et déclenchent des réactions instinctives.
« Les sens nourrissent les passions, l’immense tissu des sociétés. »
Alain
Puis, saisit par le cerveau qui les interprète nous basculons sur le versant de l’intellect, là, où l’image que nous nous faisons du monde s’élabore. Ainsi, toutes nos perceptions et sensations concourent à faire de nous un soi.
Les sens sont des liens pour les animaux entre eux, pour les mammifères avec leur environnement, pour les consommateurs avec leurs Marques. Les sens nous permettent de définir les qualités des choses et des objets, à les différencier entre eux. Ils nous aident à nous en construire une représentation mentale.
La culture des sens se construit sur des bases biologiques et des contraintes avec lesquelles il faut composer.
Les sens informent l’intelligence et nourrissent les passions ainsi partage-t-on les sensations différemment que des savoirs. On conserve des connaissances, mais difficilement des intuitions, des affects, qui sont passagers et éphémères. Aussi communique-t-on différemment les savoirs des intuitions.
Rechercher pourquoi dans notre environnement, certaines formes sont plus porteuses de couleurs, de sons, d’odeurs et de goût, c’est rechercher les lois naturelles et culturelles qui peuvent nous inhiber ou nous stimuler. Les archétypes seraient donc des schémas précâblés dont le cerveau humain est porteur qui rendent opérationnels les modes de répétition : refrain, structure strophique…
Mesurer ce qui influence la perception pour mieux objectiver la communication sensorielle
Les sens et les conventions guident le consommateur, le dirigent dans son interprétation et sa compréhension lui laissant une liberté relative pour vagabonder dans l’espace circonscrit par les Marques. Les impressions olfactives, sonores, gustatives, tactiles, visuelles, auxquelles sont soumis les consommateurs construisent l’identité des marques, voire leur esthétique. Elles renseignent sur l’émetteur et son univers qu’il nous propose de partager.
Comprendre et évaluer l’impact des dispositifs sensoriels (visuels, sons, toucher, goût, odeurs) des Marques sur les consommateurs, puis comparer ces résultats entre les Marques sont l’un des objectifs du marketing qui enquête auprès des consommateurs pour connaître leur capacité à relier un son, une odeur, un goût… à une Marque. Cette démarche conduit à élaborer des indicateurs pour mesurer l’efficacité de la communication et du marketing sensoriel des Marques. Cependant, mesurer les émotions nécessite de maîtriser le contexte. Aussi est-il légitime de nous demander si l’étude des perceptions sensorielles est une science exacte, s’il existe une possibilité de modélisation et si elle peut conduire à l’élaboration de profils sensoriels (psychologie alliée aux neurosciences).
Propriétés communes aux cinq sens
– La variabilité : il est difficile d’identifier et de quantifier les sensations
– Les formes de communication des affects se modifient dans le temps, elles conjuguent l’intention avec l’intuition
– Les signes qui les composent sont pérennes ou conjoncturels
– Que ce soit les odeurs, les formes, les couleurs, les sons, les saveurs, ils ont en commun la capacité de renseigner. Ils sont particulièrement utiles pour palier les manques, voire remplacer l’un des cinq sens partiellement ou complètement inutilisable (exemple : cécité)
– La privation sensorielle conduit à une destruction méthodique de l’individu
– Les odeurs, les formes, les couleurs, les sons, les saveurs sont les actifs d’un capital immatériel que détiennent les Marques.
Donner une identité sonore à sa Marque
Écouter, ce n’est pas simplement écouter, c’est écouter comme ceci ou cela, selon des réminiscences, des schèmes de compréhension, d’interprétation. Les Marques avec leur univers sonore inscrivent des formes sensibles dans un univers pratique.
L’éducation aux sons est universelle (le cœur qui bat, le bruit du vent…). Le son, lui se caractérise par une amplitude et une fréquence vibratoire. Immatériel, il s’invite, se répand, se diffuse, s’impose voir s’incruste, il occupe l’espace et ne connaît pas d’obstacle tandis que le bruit assiège et l’écoute nous enferme. Il est d’autant plus efficace que nos barrières sont poreuses et laissent s’infiltrer l’indésirable.
Le son des Marques transmet des messages et des émotions. Il se compose essentiellement de musiques, de voix et de « logos sonores ». On l’associe à des images et du texte. Le bruit de fond qu’il nourrit sous la forme d’une bande-son rassurante ou d’une ambiance sonore éphémère assure le maintien de la relation social.
La manière dont les sons sont définis et choisis pour un univers spécifique matérialise et cimente la relation entre le consommateur et la Marque mais aussi modèle les rapports humains.
Pour transformer le son en signe, il faut l’intégrer dans une pensée symbolique. La formalisation écrite des sons, sa traduction par des signes matérialise une présence évanescente. Cette transcription définit son identité, la protège (spectrogramme, relevé graphique du son), facilite sa reproduction et son commerce.
Les principaux indicateurs de l’identité sonore évaluent la capacité d’attribuer le son à une Marque, l’adhésion à ce son, la saturation sonore couplée à l’intensité du message sonore, la cohérence du logo sonore avec le logo visuel. Pour mieux évaluer ces indicateurs, on isole et sépare le son d’autres médias comme la vidéo et le texte puis on le soumet aux publics des Marques concernées.
« L’empreinte sonore c’est ce avec quoi les consommateurs repartent… Ils repartent avec ce que les Marques sont. »
Composer la signature musicale de la Marque voire son hymne avec des notes reconnues par les consommateurs comporte le risque d’avoir pour résultat que l’on ne retienne que la mélodie et que l’on ne prête que peu d’attention au lien avec la Marque. A l’opposé, créer son propre vocabulaire musical comme c’est le cas pour l’identité visuelle, augmente la cohérence, la singularité et la synergie du dispositif identitaire de la Marque.
Si la torture par privation sonore détruit l’individu, le harcèlement sonore, lui, prive de tout repos quant aux répulsifs les plus couramment rencontrés ils blessent l’oreille3. Dans le cas du maintien de l’ordre ces matériels ont pour objectif de faire fuir et désorienter (LRAD, Long Range Acoustic Device).
La vue, l’œil, la lumière… les couleurs
Les couleurs témoignent de notre sensibilité aux radiations (lumière).
« On affiche fièrement son soutien aux défenseurs de la nature (vert), à Jésus (blanc), aux homosexuels (roses), à la recherche contre le diabète (gris).»
Les couleurs pastel, quant à elles, réfèrent à l’enfance, la douceur, la sensibilité, la nostalgie. Le jaune, lui, suscite l’optimisme, le dynamisme, la gaité.
Le pouvoir donné aux mots nous fait considérer le rose comme couleur à part entière alors qu’il est obtenu à partir du magenta ou de toute autre rouge dégradé, tandis que le bleu clair nous semble une simple variation du bleu primaire.
L’enregistrement d’une couleur ou d’une combinaison de couleurs est de plus en plus admis et l’étendue de la protection d’une telle Marque est envisagée de façon moins restrictive.
Le toucher, le tactile
Répondent aux actions mécaniques avec le contact et aux actions thermiques par la sensation de chaud ou de froid.
L’odorat, le nez, les odeurs
Les sensations olfactives présentifient l’absent(e) avec l’émotion qui lui était associée. Avec le parfum s’ouvre un univers émotionnel, souvent inconscient dont les sniff-tests ont pour objectifs de détecter les pistes olfactives les plus prometteuses, celles qui provoquent une réaction immédiate et spontanée, verbalisée ou non. Ils offrent par la même occasion la possibilité d’écarter les moins engageantes de ces pistes.
Si les Marques créent des fragrances, elles peuvent aussi dissiper les odeurs, ou modifier des arômes.
Le dépôt d’une odeur à titre de Marque s’avère délicat. Les difficultés rencontrées lors de l’examen d’un signe olfactif par les autorités compétentes tiennent moins à la nature de ce signe qu’à la nécessité de le définir et d’en donner une représentation graphique qui permette aux tiers d’identifier sans doute possible le signe pour lequel la protection est recherchée. La formule chimique, ou le dépôt d’un échantillon ne suffisant pas.
Parmi les technologies utilisées, citons les diffuseurs qui se font de plus en plus discrets. Et si le cœur vous en dit et que votre budget le permet pourquoi ne pas offrir à votre Marque sa propre fragrance.
Le goût, la langue, les saveurs gustatives
Les satisfactions olfactives et gustatives évoluent et se modifient tout au long de notre cycle, de la naissance à la mort et au fil des siècles.
Les interactions entre les sens, une relation synesthésique1
Il est difficile d’évaluer le rôle de la multisensorialité dans le jugement, car les sens s’influencent ou rentrent en conflits les uns envers les autres. Cependant, on peut dire qu’un produit qui aura su faire la preuve de ses correspondances intersensorielles saura s’imposer plus facilement sur le marché. Une batterie de tests rapides à réaliser sont à disposition en ligne2. Cette pratique deviendra sans doute une norme pour un secteur qui exige des preuves concernant l’efficacité des propositions.
Ci-après quelques questions qui viennent à l’esprit lorsque l’on évoque ce sujet :
– Que peut l’oreille sur les yeux, le son sur la vue, l’écoute sur le regard ?
– Un sens peut-il impliquer un autre sens, une couleur peut-elle suggérer une sensation gustative ?
… sachant, pour reprendre l’ouvrage de Michel Serres – Les cinq sens, que « La langue qui parle tue dans la bouche la langue qui goûte ». Gardons aussi en mémoire que les associations divergent selon les continents.
Goûter à l’intensité avec les Marques
Dans une société sécularisée qui ne promet plus la résurrection des corps, l’intensité, devient un point d’orgue mais aussi le point de contact de la raison avec la transcendance, du rationnel avec l’irrationnel. L’intensité c’est plus de… qui n’est rien moins que plus de la même chose. Elle évalue ce qui n’est pas quantifiable. Confrontée à la réalité elle démultiplie nos sensations et remplace la substance. En remplaçant les contraintes par des incitations quantitatives ou qualitatives l’intensité nous libère de l’hétéronomie. Ces intensités qu’elles soient psychologiques, physiologiques s’expriment sous la forme de variation, d’augmentation, d’accélération, de progression. Associée au flux, au débit, au rythme l’intensité oscille et se module. Elle accentue les goûts, les sentiments, les affects, les sensations, les perceptions et la libido. Elle promeut l’énergie juvénile du statut d’âge de la vie au mode d’être et d’existence. Ainsi, en vivant passionnément, mais aussi en désirant puis en aimant posséder, nous oublions nos craintes, nos peines, pour enfin nous réjouir de notre joie et atteindre dans l’échelle de nos passions un état auquel nous n’étions jamais parvenus auparavant. Avec elle nous nous engageons jusqu’à l’épuisement. Malheureusement l’affirmation de l’intensité produit sa propre négation car le plus de ne va pas sans une perte de qualité… des sens. Entre la nuance et l’intensité il faut choisir car l’intensité altère la nuance, la finesse ou la subtilité du goût. Pour ceux qui ne s’en consoleraient pas il existe des stratégies pour refroidir l’intensité comme la lenteur, la passivité.
L’intensité est un terme qui sous-tend les discours. Il est assez souple pour être utilisé à la fois pour promouvoir comme pour s’opposer, c’est un langage utilisé par les partisans comme par ses ennemis que l’on pense ici aux discours promotionnels des Marques comme à leurs opposants idéologiques.
Objectifs de la communication sensorielle
– Couvrir tous les points de contact sensoriel afin d’être mémorisé émotionnellement
– Attirer l’attention de la clientèle, la rendre présente à l’esprit, faire émerger la Marque ou, pour le dire autrement, rendre plus clair ce pour quoi la Marque doit-être aimée
– Développer ou modifier la perception du consommateur vis-à-vis de la Marque afin qu’il la comprenne, l’aime et la préfère
– Infléchir le comportement du consommateur
– Séduire pour provoquer un engagement émotionnel
– Fidéliser une relation avec les sens
– Se rapprocher de la clientèle, l’attirer, la retenir, l’orienter
– Améliorer les facteurs d’ambiance
– Adapter les perceptions sensorielles des produits au positionnement de la Marque
– Faire de la communication sensorielle un outil de différenciation
– Construire une nouvelle réalité pour de nouveaux besoins
– Raconter une histoire
– Participer à la construction de la notoriété de la Marque
– Dans un un monde concurrentiel donner à la Marque plus de lisibilité
– Participer à la construction de l’identité de la Marque (identité visuelle, tactile, sonore, olfactive, gustative) et à sa posture de manière qu’une synergie puisse s’établir.
Exposé au réel et à l’imaginaire, le consommateur représente un potentiel de promesses qui n’appartiennent qu’aux Marques de développer en lui proposant leur univers sensoriel et sémantique.
1/ Crossmodal Research Laboratory
3/ Juliette Volcler, magazine de la BPI (avril-septembre 2018) « Dans la zone grise des armes acoustiques »
Mise à jour : 25 avril 2024
Date de publication initiale : avril 2008