Conjuguer la Marque au passé, au présent et au futur

Inter-esse veut dire : être parmi et entre les choses, se tenir au cœur d’une chose et demeurer auprès d’elle. Mais pour l’inter-esse moderne ne compte que ce qui est ‘intéressant’. La caractéristique de ce qui est ‘intéressant’, c’est que cela peut, dès l’instant suivant, nous être déjà devenu indifférent, être remplacé par autre chose…
Martin Heidegger – Qu’appelle-t-on penser ?

Le présent se définit comme une continuité homogène, unidimensionnelle. La durée, elle, se définit comme ce qui « ne se divise qu’en changeant de nature ». La différence entre le passé et le présent se ressent avec l’intensité qui change. Un passé qui ne passerait pas serait un passé qui ne laisserait que peu de place au présent. Ce serait sans compter sur le temps qui habite les choses, dégrade les situations. Les Marques le savent et pour maintenir leurs survies elles innovent continuellement avant que le monde ne se défasse. Cet art du rythme, de la durée et de l’attente les Marques l’ont compris, elles accueillent tout aussi bien la lenteur de la durée que la brusquerie des événements. Elles gèrent des temporalités et des rythmes multiples.
Que ce soit au passé, au présent ou au futur, la reproduction et la mort sont les caractéristiques principales de notre monde. Les Marques, quant à elles, toutes natures confondues, de par leurs attitudes et leurs buts, luttent en permanence contre la dégénérescence et le chaos. Elles célèbrent le passé, gouvernent le présent et dessinent l’avenir.

Le temps s’empare de la vie et restitue la mémoire, dorée par les flammes, noircie par la braise.
Adam Zagajewski – Mystique pour débutants et autres poèmes

Le passé des Marques

Parmi les Marques, nous pouvons en compter plusieurs dizaines d’entre elles âgées de plus d’un siècle. Des individus se sont engagés personnellement en donnant leurs noms à ces Marques. Aussi peut-on parler d’histoire de Marques qui se marient avec l’histoire de familles de consommateurs. Les souvenirs agréables que les Marques nous remémorent replongent les consommateurs dans le passé sécurisant de leurs racines. Sensation régressive sur laquelle s’appuie le « rétromarketing » pour reconstruire une image dont les produits et les services nécessitent une actualisation. La nostalgie y côtoie la tradition, le souci de l’authentique et du savoir-faire. Leurs histoires nous sont contées dans leurs storytellings

La Marque en devenir

Notre présent est criblé par le passé et l’avenir. Les Marques traversent des étapes similaires dans leurs développements. Dans un premier temps, elles essaient de se différencier, dans le meilleur des cas en innovant. Il s’ensuit une période réflexive qui débouche sur la volonté pour la Marque de séduire une nouvelle génération de consommateurs tout en conservant sa relation privilégiée avec son cœur de cible, ses premiers clients qui vieillissent. Si elle réussit à susciter l’intérêt de la nouvelle génération, elle accède au statut de légende et de mythe, elle devient alors un repère pour les consommateurs.
La capacité de la Marque à durer s’accompagne d’une légitimité qui se construit dans un temps long, au gré des actions et des discours. L’engagement, la cohérence et la permanence de ses discours augmentent lentement et progressivement son capital de sympathie auprès des consommateurs. Les Marques où l’État est le principal actionnaire voire l’employeur, développent plus facilement un crédit auprès de leurs clients-usagers qui les légitimisent et les inscrivent dans une temporalité longue.
La Marque composée d’un mix de fondamentaux, de valeurs émergentes et de signes éphémères s’ajuste continuellement. Toutes les nouvelles générations construisent de nouvelles empreintes culturelles, leurs perceptions visuelles, auditives, gustatives, sensorielles changent ainsi que leurs valeurs, mais toutes les valeurs ne vieillissent pas en même temps et à la même vitesse. Il existe des valeurs immuables qui retiennent toujours l’attention du public, ces valeurs, en général, produisent du sens. Elles relèvent souvent de la nécessité comme celles de la santé, de l’éducation, par contre, les critères d’ordre esthétique et leurs signes qui sont des objets de liaison dans le temps et l’espace changent constamment. La vigilance est de rigueur, car les valeurs ne se laissent pas quantifier facilement, encore moins, lorsque le « consommateur-citoyen-salarié-entrepreneur » incarne des valeurs contradictoires. Ces facteurs obligent la communication de la Marque à adapter ses signes visuels, sa signature, son discours, ses couleurs, ses formes, ses images, sa voix, ses intonations, ses messages, ses odeurs… et plus généralement son langage. La synesthésie des sensations traverse l’identité de la Marque et la fait vibrer au diapason des consommateurs.
Une Marque n’est pas une fin, mais un projet ouvert, ni stable ni achevé. Ainsi, les Marques se projettent-elles perpétuellement en avant d’elles-mêmes et s’inventent-elles leurs consommateurs.

« La Marque est en transformation perpétuelle entre stabilité et changement entre continuité et évolution, entre tradition et modernité (produit innovant, méthodes de travail, fusion d’entreprises…). »

La Marque religieuse, nationale, associative… n’a pas en soi une valeur absolue que lui attribueraient les consommateurs, mais elle est à la source des valeurs.

Les facteurs du changement

Une Marque vieillit quand elle ne s’impose plus comme référence. Elle peut régresser du mythe à la Marque, puis de la Marque à une simple notoriété pour s’effacer totalement et se faire oublier. Parmi les évènements extérieurs susceptibles de ralentir, ou accélérer la présence des Marques, ceux générés par le contexte politique, économique et social jouent un rôle important. D’autres raisons de nature interne à l’entreprise comme la production et la distribution influent également sur ses capacités à durer.

>>> Parmi les facteurs invalidants :
▪ La concurrence avec les Marques de la grande distribution et les produits génériques.
▪ La baisse éventuelle du pouvoir d’achat et la multiplication des postes de dépenses du consommateur qui diminue la part des achats consacrés aux Marques.
▪ La difficulté de la publicité à toucher plus de 25% de la population.
▪ Le succès du nom de la Marque qui peut devenir un nom générique et être utilisé par ses concurrents.
▪ Les valeurs fondamentales de l’entreprise qui rentrent en conflit avec les valeurs du moment portées par les consommateurs.
▪ Les fausses innovations, prétexte pour que le consommateur consomme davantage.
▪ Les institutions qui sont les « tabernacles des certitudes ». Accolées aux visions du monde elles se soutiennent mutuellement. On en change conjointement.
▪ Le progrès technique qui offre de nouveaux potentiels aux consommateurs et use l’image originelle de la Marque si celle-ci n’est plus à même de proposer de nouvelles fonctionnalités.

>>> Parmi les facteurs ambivalents :
● La popularité de la Marque qui s’accompagne parfois de contestation, de détournement et de recréation dont on évalue mal si ces actes nourrissent sa vitalité et sa prospérité ou lui causent du tort…
● Les valeurs du marché rentrent parfois en conflit avec celles portées par les générations précédentes, par exemple on peut relever des antagonismes entre « un prix bas », « une durée de vie des objets et des services » avec la « solidité », « l’esthétique », ce que l’on nomme sous le terme mal défini de « qualité »…
● Le phénomène du « gratuit » né dans la seconde moitié du XXe se développe depuis le début du XXIe siècle principalement dans les secteurs de la presse et de l’Internet. La gratuité remet en cause le principe fondamental de l’acquisition de biens ou de services. Il déplace et reporte le profit vers la publicité et l’audience. La monnaie d’échange des consommateurs devient leur temps et remplace l’argent.
● Les réseaux sociaux « on-line ».

>>> Parmi les facteurs encourageants :
▪ La découverte des valeurs immatérielles que les consommateurs souhaitent voir advenir et qui seront au cœur des débats de notre société.
▪ La capacité à repérer les attentes des consommateurs.
▪ Les concepts, qui, s’ils ne sont pas du vent ont le pouvoir de transformer la réalité. Enjoints à l’innovation ils renforcent les Marques et créent des différences entre elles. Sans innovation, les Marques perdent leur raison d’être et le consommateur vite rassasié, devient infidèle.
▪ La veille des innovations, des mutations.
▪ Le potentiel du développement technologique à susciter de nouveaux besoins.
▪ La capacité à acquérir les compétences nécessaires à la mise en place de la stratégie.
▪ L’extension géographique.
▪ L’histoire de la Marque et de ses valeurs qui nourrissent la communication institutionnelle…
▪ L’existence de cycles pour les produits, les idées, les comportements qui induisent des renouvellements.

Quelques sagas, là où l’histoire des Marques commence :

BungeWhen Johann Bunge founded a trading company in Amsterdam in 1818, did he imagine it would still be thriving two centuries later?
Coca-ColaThe product that has given the world its best-known taste was born in Atlanta, Georgia, on May 8, 1886.
LonginesL’histoire de la Marque Longines débuta en 1832..

Date de mise à jour : 24 avril 2023

Date de publication initiale : Avril 2005